“Un peuple qui ne sait plus interpréter ses propres signes ne vaut plus rien. Il est étranger à lui-même, a perdu foi en lui-même et en son destin.”
La Carte d’identité, Jean-Marie Adiaffi, éd. Hatier, coll. « Monde noir poche », 1980 p. 39
La citation de Jean-Marie Adiaffi, tirée de son œuvre maîtresse La Carte d’identité, est un cri d’alarme intemporel.
Elle établit un lien indissociable entre l’identité culturelle (les “signes”), la conscience de soi et la capacité d’un peuple à maîtriser son propre avenir (le “destin”).
Appliquée à la situation géopolitique actuelle de la Côte d’Ivoire et, plus largement, de l’Afrique, cette pensée résonne avec une acuité particulière.
Adiaffi parle de “signes”. Aujourd’hui, ces signes ne sont pas seulement culturels ou traditionnels ; ils sont aussi économiques, monétaires et politiques.
* Les signes économiques et monétaires
Le signe le plus flagrant est la monnaie.
Un peuple qui utilise une monnaie (comme le Franc CFA, ou son successeur l’Eco, toujours arrimé à une garantie étrangère) dont il ne contrôle ni la parité, ni les réserves, ni la politique, est-il encore capable d’“interpréter ses propres signes” ?
Il utilise le signe d’un autre. Il devient, comme le dit Adiaffi, “étranger à lui-même”, incapable de financer son développement selon ses propres termes.
La maîtrise de ses matières premières (cacao, or, pétrole) qui sont exportées à l’état brut, sans transformation locale significative, est un autre “signe” non interprété, une richesse qui échappe au peuple.

* Les signes politiques et militaires
La présence de bases militaires étrangères sur le sol national, ou la dépendance vis-à-vis d’anciennes puissances coloniales pour la validation des processus électoraux ou la résolution des crises internes, sont des indicateurs d’une souveraineté limitée.
C’est la perte de “foi en lui-même”, une incapacité à gérer son propre destin sécuritaire et politique.
Cette situation crée une aliénation géopolitique. La Côte d’Ivoire, comme d’autres nations africaines, possède toutes les ressources et l’intelligence pour prospérer, mais semble “étrangère à elle-même”, ses décisions clés étant souvent perçues comme dictées ou influencées par des agendas extérieurs.
C’est précisément face à ce constat que s’inscrit le combat pour la souveraineté ivoirienne et africaine, tel que défendu par le Dr Ahoua Don Mello.
Le discours souverainiste est l’application politique directe de la philosophie d’Adiaffi.

* Refuser d’être “étranger à soi-même”
Le combat pour une souveraineté monétaire, par exemple, est un acte fondamental pour “réinterpréter ses propres signes”.C’est refuser d’être un “étranger” dans sa propre économie. C’est affirmer que la valeur du travail ivoirien doit être définie par les Ivoiriens.
* Retrouver “foi en son destin”
Lorsque Ahoua Don Mello parle de souveraineté, il ne s’agit pas d’un simple slogan politique.
Il s’agit de rompre avec la fatalité de la dépendance.
C’est un appel à ce que le “destin” ivoirien, son industrialisation, son système éducatif, sa politique étrangère, soit décidé à Abidjan et Yamoussoukro, et non à Paris, Washington ou ailleurs.

* La souveraineté comme “Carte d’identité”
Pour Adiaffi, le héros de son roman (Agni) doit retrouver sa carte d’identité volée pour prouver qui il est.Pour un pays, la souveraineté est sa carte d’identité.
Sans elle, il n’est “plus rien” sur la scène internationale, juste un pion.
Le combat d’Ahoua Don Mello pour la souveraineté est donc une lutte pour que le peuple ivoirien cesse d’être un objet de l’histoire écrite par d’autres, pour redevenir le sujet de sa propre histoire.

La mise en garde d’Adiaffi est claire :
Un peuple qui externalise la définition de sa valeur (sa monnaie), la gestion de ses ressources (son économie) et la vision de son avenir (sa politique) a “perdu foi en lui-même”.
Le combat souverainiste, tel qu’incarné par Ahoua Don Mello, n’est donc pas un repli sur soi.
C’est l’inverse : c’est un acte existentiel de réappropriation de soi, une condition sine qua non pour pouvoir ensuite s’ouvrir au monde, non plus en tant que dépendant, mais en tant qu’égal.
C’est la réponse directe au défi lancé par Jean-Marie Adiaffi :
Redevenir maître de ses propres signes pour enfin redevenir maître de son destin.
Par Kpain Elie